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Opinion : Aucune liberté ne nous vient de l'État

Dernière mise à jour : 13 juin 2020

Par Hugo Zerbib


e 11 mai 2020 est la date qu'a choisie le gouvernement pour "déconfiner" les Français. Ce terme barbare n'est pas le plus mal choisi. Le processus entamé le 11 mai est bien celui d'un retour en arrière par rapport au confinement.


Il s'agit toutefois de s'entendre sur la démarche entreprise par le pouvoir politique dans le retour progressif à une ère de liberté. Pour beaucoup, l'État a de nouveau autorisé les Français à sortir, à se déplacer ou encore à retourner au travail. Cette analyse est à la fois erronée et dangereuse. Loin de nous autoriser à exercer de nouveau nos droits fondamentaux le 11 mai dernier, l'État n'a fait que cesser de les enfreindre. Dans la France post COVID-19, il ne paraît pas inutile de rappeler qu'aucune liberté ne nous vient de l'État.


"A-t-on le droit de se déplacer à bicyclette ? Sommes-nous autorisés à nous asseoir sur un banc pendant une sortie ?" sont des questions que trop de Français se sont mal posées pendant les cinquante-cinq jours d'assignation à résidence. "L'usage du vélo ou des bancs a-t-il été interdit, et si oui, pourquoi ?" est la bonne manière d'interroger nos privations de libertés et de poser les bases saines d'un débat quant à leur légitimité. Le propre d'un État libéral est le régime de l'interdiction dans lequel tout ce qui n'est pas interdit est autorisé, et ce qui est interdit a une bonne raison de l'être. La "France d'après" le COVID—19 ne doit pas être celle de l'expérimentation des mesures liberticides, ni celle d'un glissement dangereux vers un régime d'autorisation dans lequel tout ce qui n'est pas autorisé est interdit, et qui est le propre des États totalitaires.


Il existe par nature une tension entre l'État et nos libertés. L'État au sens moderne est conçu comme un instrument au service de l'intérêt général, qui suppose de la part des individus qu'ils renoncent à une petite part de leurs libertés individuelles. Ces renoncements doivent toutefois être parcimonieux, et l'État ne doit pas nous demander d'abandonner plus de libertés qu'il n'en est strictement nécessaire, au risque de perdre le consentement au contrat social de ses membres créateurs. Pire encore serait la volonté de l'État de nous retirer toutes nos libertés pour mieux nous les rendre et ainsi se prétendre la source de celles-ci.


Dès lors, comment nos gouvernants peuvent-ils agir efficacement dans une crise telle que traverse la France sans verser dans l'obsession liberticide ? En admettant que tout ce qui est souhaitable ne doit pas être imposé, que tout ce qui est dommageable ne doit pas être interdit. La France vit au rythme des recommandations sanitaires et autres gestes barrières visant à limiter la propagation du virus, et un raccourci terrible s'est imposé : l'utilité sociale est devenue impératif moral. Ici et là, on interroge des médecins quant à la nécessité d'imposer par la loi le port du masque, d'interdire les rencontres à moins de plusieurs mètres de distance. L'utilité de ces mesures est sans aucun doute du domaine de la science et des scientifiques, l'opportunité de les rendre obligatoires ne l'est pas.


Sous la pression du discours scientifique et de la tentation de rendre contraignant tout ce qui est utile, il reste au politique un outil dangereux à manier : le droit pénal. Il est l’instrument ultime de la puissance publique, une violence exercée par l'État contre l'individu dans des cas limités censés assurer la légitimité de cette intervention qui vise à priver du droit de propriété à travers l'amende ou de la liberté par l’emprisonnement.


Il est illusoire d'imaginer que les membres d'une société s'abstiennent de commettre des infractions par peur de la sanction. Si notre appareil judiciaire est capable de réprimer les atteintes au corps social de manière marginale, il serait impuissant face à une criminalité généralisée que seul un État policier pourrait contenir. Notre système pénal tient de ce que l'on y adhère, et non de ce que l'on y est contraint, de ce que l'on agit par devoir et non conformément au devoir. L'adhésion à la norme pénale a sa source dans la relation entre ce droit et sa morale : on s'abstient volontiers de tuer ou de voler son prochain car de telles actions sont mauvaises, et non par peur du policier ou du gendarme.


Dès lors, pour qu'un comportement soit érigé en infraction pénale, il faut que son caractère immoral revête un certain degré que ne recouvrent pas les violations des recommandations scientifiques. Sortir de chez soi ou ne pas porter de masque est peut-être préjudiciable à la société en lutte contre un virus, mais toutes les atteintes sociales ne sont pas des infractions pénales légitimes. En faisant entrer dans notre arsenal répressif des mesures qui n'ont pas lieu d'y être, c'est le système pénal dans son entier que l'on expose. Si les Français s'habituent à agir conformément au devoir et non par devoir, seule la surenchère répressive permettra de préserver la paix sociale.


L'État peut-il s'abstenir d'enfreindre nos libertés et se reposer sur la responsabilité individuelle de chacun dans la lutte contre la maladie ? En réalité, il n'a pas d'autres choix que de laisser à la société le soin de se réguler elle-même. La stigmatisation naturelle des comportements antisociaux est un outil de régulation sociale bien plus efficace et opportune que l’intervention brutale de l'État.


En mai 68, les manifestants écrivaient sur les murs "Il est interdit d'interdire". Consciente qu'aucune liberté ne nous vient de l'État, la France de 2020 doit dire qu'il est interdit d'autoriser.

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