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Entretien avec Maitre Tenneson , directrice de l'Alliance des Avocats pour les Droits de l'Homme

Entretien par Camille Thomé et Marine Segura


L’Alliance des Avocats pour les Droits de l'Homme (AADH) est une association fondée en 2009 par l'Ordre (représenté par Monsieur le Bâtonnier Charrière Bournazel) ainsi que par Maitre Zimeray et Maitre Tenneson, dans le but d'apporter un soutien juridique neutre, gratuit et confidentiel auprès des organismes, associations et institutions dédiés à la protection des droits humains et de l’environnement.

Aujourd'hui, l'association intervient dans des contentieux liés aux violations des droits de l'homme et de l'enfant afin d'assister les ONG et de les représenter le cas échéant en justice. Elle assure également un accompagnement au quotidien des associations et ESS, ainsi que des formations juridiques au profit de différents acteurs. Enfin, l'Alliance rédige des études de droit comparé dans le but de sensibiliser l'opinion publique aux grandes causes de défense des droits de l'homme.


L'AADH compte aujourd'hui plus de 26 000 membres.

Le Baromaitre a rencontré Maitre Tenneson, directrice générale de l'AADH.


> Comment et pourquoi avez-vous décidé de créer l’Alliance ?

L’Alliance a été créée sur une idée de F. Zimeray car les ONG de protection des droits de l’homme n’ont pas les moyens financiers d’avoir accès à des avocats alors que le monde dans lequel nous vivons ne laisse plus place à l’amateurisme juridique. Pour moi, il s’agissait de mettre en harmonie mes aspirations d’aide à l’enfance et ma vie professionnelle. En tant qu’avocate d’affaires, je n’avais aucune connaissance du milieu associatif, j’ai donc pris mon bâton de pèlerin et suis allée démarcher les associations et les cabinets d’avocats.


> Quel est votre parcours et quelle place a eu la défense des droits humains dans celui-ci avant la création de l’AADH ?

J’ai d’abord suivi un cursus à Assas puis j'ai intégré le master II de J. Ghestin à la Sorbonne en droit des obligations, avant de rentrer à l’EFB Paris. De nombreuses années plus tard, j’ai repris des études en psychologie de l’enfance à distance. Ma vie professionnelle se compose de deux parties, la 1ere en tant qu’avocate en droit des affaires dans un grand cabinet français – Jeantet - (New York puis Paris) et la deuxième avec l’Alliance.

Ma découverte des droits de l’homme s’est faite au sein du cabinet Shearman & Sterling à Washington où j’étais partie faire un stage de 6 mois en droit de la concurrence. Non seulement j’ai découvert le concept du pro bono mais mon boss, très impliqué dans de nombreuses ONG, m’a présenté au secrétaire général de l’Organisation des États Américains qui m’a proposé un stage au sein de la Commission interaméricaine des droits de l’homme. C’était passionnant.

> L’association a un peu plus de dix ans, quels sont les projets qui vous ont le plus marqués ?

Le dossier qui m’a profondément émue est celui des enfants Birmans qui, fuyant avec leurs familles la Birmanie, étaient arrêtés en Malaisie puis vendus à des trafiquants d’esclaves à la frontière avec la Thaïlande. Les enfants étaient alors enrôlés sur des bateaux de pêche puis exécutés à la fin de la saison.

C’était l’un de nos tout premiers dossiers et j’étais encore trop jeune pour imaginer que de telles barbaries pouvaient exister.

Le dossier de défense des masques sacrés Hopi (Indiens d’Amérique du Nord) a également été incroyable. Nous avions été saisis par Jean Patrick Razon, Directeur de Survival France afin de s’opposer à la vente aux enchères de masques sacrés à Drouot.

Le dossier était passionnant à tous points de vue, juridiquement, mais également humainement car Maître Pierre Servan Schreiber s’y est impliqué jusqu’à aller acheter lui-même un masque qu’il a rapporté à la Tribu. Le récit de son voyage initiatique au sein des Hopi était grandiose.

Avec les bénévoles, et à notre niveau, nous avons monté une campagne de sensibilisation à Paris avec des vidéos, des micros-trottoirs et de magnifiques fiches sur les peuples indiens d’Amérique du nord. Une belle et joyeuse aventure.


> Et quels sont les projets de l’AADH pour les années à venir, les prochaines étapes de son développement ?

Nous continuons à développer des programmes internes d’aide au profit des mineurs non accompagnés en leur offrant un accès gracieux à des avocats de qualité, motivés et formés. En outre, nous multiplions les partenariats avec des ONG de protection de l’enfance, telles que la Voix des adoptés ou l’Association des victimes d’incestes.

Nous espérons aussi intégrer les juristes d’entreprises au sein de l’Alliance et leur permettre de travailler sur les requêtes et d’aider les ONG et les personnes les plus vulnérables telles que les mineurs. Les défis sociétaux et environnementaux actuels sont tels que seule une concertation entre tous les acteurs permettra de trouver des solutions pérennes. Il faut juste qu’il y ait une prise de conscience globale, ce qui n’est malheureusement pas encore le cas.


> Nous avons remarqué que vous aviez publié pendant la période de confinement des articles sur les violences conjugales et la précarité des mineurs, plus particulièrement des mineurs non accompagnés. Souhaitez-vous développer des thématiques particulières ?

Nous avons en effet récemment publié un article sur la nécessaire continuité de la lutte contre les violences conjugales durant la crise du Covid-19. Celui-ci s’inscrit dans le cadre d’une série d’articles rédigés par les avocats membres de l’Alliance afin de nous éclairer sur les restrictions mises en œuvre durant l’état d’urgence sanitaire, mais aussi et surtout, sur les droits qui doivent continuer, plus que jamais en cette période, à être protégés.

La précarité des mineurs est aussi une thématique au cœur des actions de l’AADH. Nous continuons de développer notre programme de protection des mineurs non accompagnés et venons en aide aux enfants victimes de traite.

L’AADH souhaite également développer son engagement en faveur d’un meilleur respect des droits de la défense des enfants. L’Alliance est ainsi candidate à l’obtention d’un financement de la Commission européenne dans le but de développer, en partenariat avec Terre des Hommes, PILnet et Defence for Children International, un projet visant à améliorer l’accès à une assistance juridique gratuite et de qualité pour les enfants en situation de conflit avec la loi.


> L’AADH dépend de la mobilisation des cabinets et des avocats. Voyez-vous une évolution depuis 10 ans dans la perception du pro bono notamment ?

Le pro bono était inconnu en France il y a dix ans et mal compris. Aujourd’hui, il est entré dans notre culture et nous constatons que de plus en plus de cabinets, mais également d’avocats en exercice individuel, adhèrent à l’Alliance. Ils souhaitent majoritairement s’investir dans nos programmes au profit des personnes les plus vulnérables comme les mineurs non accompagnés. Il y a un véritable engouement à revenir aux racines de notre profession et à aider son prochain.


Il reste néanmoins encore des détracteurs qui estiment que le pro bono est une technique de marketing américaine pour glaner de nouveaux clients, portant atteinte à la survie des avocats qui ne viennent pas de grands cabinets. En outre, ils estiment que les avocats d’affaires n’ont pas l’expertise suffisante pour sortir de leur terrain de compétences habituel. Je les invite à rejoindre l’Alliance afin de constater eux-mêmes que les avocats pro bono ne cherchent nullement à développer une clientèle en aidant les personnes vulnérables et qu’ils sont tellement motivés et soucieux d’aider qu’ils passent des heures à apprendre, à solliciter des conseils de confrères et que les résultats sont exceptionnels dans les dossiers.


Enfin, il y a un mouvement de rapprochement et de réflexion de certains cabinets anglo-saxons en vue de l’utilisation, par exemple, des nouvelles technologies au profit des droits de l’homme et, par conséquent, de l’intervention active des entreprises. C’est un sujet sensible car portant sur des données pouvant être utilisées à mauvais escient mais qui permettra d’améliorer notablement la situation de certaines populations.


> Une des tâches essentielles de l’AADH est de coordonner l’activité entre les avocats et les ONG. Pourriez-vous nous en dire plus sur les apports bénéfiques de cette expérience pour ces acteurs ? Quels sont les retours d’expérience des deux côtés ?

Nous facilitons le lien entre les ONG et les avocats et ce, avec des procédures très simples. Les cabinets d’avocats n’ont pas le temps de faire des recherches sur les ONG qui présentent des garanties de transparence et de professionnalisme. Avec l’Alliance, nous leur proposons 170 associations très diverses (protection de l’environnement, LGBTQI…) de la plus petite à la plus grande. Pour les ONG, c’est pareil, elles ont un panel d’avocats de qualité qui couvrent tous les secteurs du droit et ce grâce au paiement d’une adhésion annuelle symbolique.

Les ONG sont ravies des prestations de l’Alliance et nous n’avons jamais eu de retours négatifs. Les avocats découvrent un monde, celui des ONG, qui leur est souvent étranger et s’épanouissent, soit sur des dossiers différents, soit sur des dossiers identiques mais au profit de causes qui leur sont chères.



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